L’Office fédéral de la statistique (OFS) vient de publier ses nouveaux scénarios de l’évolution démographique.

Ils me rappellent ceux que j’ai vus lorsque je finissais ma thèse de doctorat en géographie en 2010. À l’époque, j’étais déjà surpris d’entendre l’office nous dire que “la croissance démographique continuera telle quelle, ou alors elle s’arrêtera, ou alors elle va s’accélérer” : un intervalle de confiance digne d’un horoscope…

Mes collègues de l’EPFL m’expliquaient alors que la question démographique était politiquement sensible, menant l’office à publier des prédictions larges et conservatrices. Cela a fait le lit d’une politique d’autruches chez de nombreux décideurs. Entre-temps, le scénario maximaliste s’est avéré juste, et nous voilà aujourd’hui face à une infrastructure de transports et de logements critiquement saturée. Pour nous éviter le même coup en 2055, je vous propose de partir tout de suite du principe que la population résidente suisse augmentera de 30% d’ici là. Autrement dit, il faut compter avec 11.7 millions de résident·e·s permanent·e·s.

Je crains en outre que même ce scénario “haut” ne soit sous-estimé, cette fois, en pensant notamment à deux facteurs:

  • Le dérèglement climatique rendra inhabitables les régions les plus densément peuplées de la planète menant à une migration massive à destination de régions plus tempérées (dont l’Europe).
  • Le principal facteur attesté de la décroissance de la fécondité (enfant par femme en âge de procréer) est le niveau d’éducation des femmes et leurs opportunités professionnelles. On observe depuis une dizaine d’années une régression sociétale (retour de figures patriarcales, modèle des trad-wives, intégrisme religieux…) qui menacent cette évolution. Se battre contre cette régression est aussi un enjeu démographique, qui n’est hélas pas gagné d’avance.

Quelles conséquences?

Un usager de réseaux sociaux a réagi à ces observations en m’écrivant: “une population en cours de migration va t’elle s’arrêter dans une contrée aux infrastructures dépassées?“. L’idée implicite semble être que “l’offre” génère la “demande” migratoire, autrement dit qu’il faudrait arrêter de développer le pays pour éviter d’attirer de nouveaux “étrangers”.

Outre le fait que cette idée revient à se couper un bras pour éviter de travailler, elle est moralement repoussante. Car préparer des infrastructures d’accueil fait partie de nos devoirs en prévision des difficultés qui attendent la planète. Pourquoi “devoirs”?

Parce que les populations exposées aux futures catastrophes climatiques sont déjà celles qui contribuent, par un travail sous-payé, à l’élaboration de nos infrastructures depuis des décennies (songez donc qui a creusé le tunnel du Gothart, qui asphalte les routes, qui pose les rails, qui soigne les gens à l’EMS… et d’où viennent les matériaux de construction).

Parce que les ressources extraites, arrachées à leurs régions, contribuent elles aussi à ces infrastructures, en plus d’enrichir les marchands de matières premières suisses (Glencore, Trafigura, Vitol, Gunvor, Cargill, Mercuria, …).

Parce que le consumérisme, dont la Suisse n’est pas exempte, porte une immense part de responsabilité dans le dérèglement climatique.

Une fois de plus, donc, comptons avec 12 millions de résidant·e·s permanent·e·s en Suisse en 2055, et élaborons d’ores et déjà une stratégie d’accueil, d’intégration et de résilience!

Sources de données

« Évolution de la population résidante permanente des cantons selon les trois scénarios de base – 1995-2055 ». Office fédéral de la statistique. Consulté le 15 avril 2025. https://www.bfs.admin.ch/asset/de/34687491.

« Scénarios de la population ». Office fédéral de la statistique. Consulté le 15 avril 2025. https://www.viz.bfs.admin.ch/assets/01/ga-01.03.01/fr/index.html.

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