J’étais à Leipzig en mars 2016 lorsque je reçus un message de Marie-Neige Berthet.
Une semaine auparavant, je fus témoin d’une contre-manifestation au défilé d’un groupement d’extrême droite. Dans son lot d’attractions, toute ville d’Europe semble désormais offrir son folklorique rassemblement de xénophobes. “Et tandis qu’ils allaient, par les rues, brûler ici un camp de Roms, et là, un centre de réfugiés, tandis qu’ils brandissaient leurs fanions aux couleurs passées, il y avait ceux, ma foi, les plus obstinés, qui négociaient nuit et jour pour vendre les dernières parcelles de bon sens au Traité transatlantique…”(Camille de Toledo, Libération, 16 mars 2016). À Leipzig, cependant, la triste trainée de la branche locale de pegida se fit siffler sur tout le long de son trajet. Une pancarte des contre-manifestants montrait un caca brun sur pattes avec l’inscription “Nie wieder“. On cria également “Halt die Fresse” et des choses qui rimaient et dont je ne me souviens plus à l’attention des orateurs de l’autre côté du cordon policier. Le message semblait clair: la majorité des Allemands conserve une certaine allergie aux défilés d’abrutis brayant la haine des Syriens et d’autres locuteurs de langues sémites. Les urnes, elles régurgitèrent un message moins réjouissant une semaine plus tard et l’on peut se rassurer seulement en se disant que 24% de votes pour “l’aternative allemande” en Sachse-Anhalt ne constitue pas une majorité.
Mais revenons plus au sud, en Sachse, à Leipzig. Ici même, en 1989, les prières pour la paix de la Nikolaikirche avaient débordé des murs de l’église pour entraîner d’abord la ville, puis l’Allemagne, puis l’Europe de l’Est entière dans un mouvement qui attendait sa détonation et qui mit à bas les mur de Berlin. Mon histoire personnelle fut entraînée dans cette vague qui me mena de Prague à Lausanne.
J’appelai Marie-Neige Berthe et j’appris que l’on décernait le prix Europe de l’Association des écrivains de langue française à mes Cartes du boyard Kraïenski.
Outre la joie de savoir mon travail reconnu sur un plan international, c’est aussi la pertinence ironique de ce prix qui me fait plaisir. Je suis parti de la Tchécoslovaquie, un pays qui rêvait d’être européen alors qu’il se trouvait coincé derrière un rideau de fer, et qui a fini par se doter de frontières internes pour entrer dans l’Europe sous forme de deux pays distincts. Je suis arrivé en Suisse, un pays qui a refusé de faire partie de l’Europe. J’y ai écris un livre sur l’impossibilité de trouver des frontières européennes. Ce livre reçoit aujourd’hui un prix Europe à Paris. Je me dis que l’essence de l’Europe se situe ailleurs que dans ses frontières.