Le duel
André Ourednik, 2014, « Le duel », in Le Persil, triple numéro 88-89-90 .extrait : Nagg pensa qu’on ne le surveillait plus. Il se pencha pour saisir la télécommande et son dos craqua. Sa main se mit à trembler. Il manquait trois centimètres. Une douleur sourde rayonna entre ses omoplates, si forte qu’il en gémit. Ça rappela à Nagg qu’il était enfermé dans le corps de Nagg. Il détestait ça. Il se laissa retomber sur le dossier du fauteuil.Nell sourit, tourna à peine la tête, puis elle tira la télécommande vers elle, lentement, pour que Nagg voie.– J’en ai marre ! grommela Nagg en fixant la tapisserie d’une scène de chasse qu’ils avaient accrochée devant la fenêtre en guise de rideau. Sans lui répondre, Nell commença à répartir des médicaments dans la boîte de dosage posée sur la table basse : des gélules, dragées, comprimés blancs, capsules, rouges et noires. Un peu de tout. Elle tremblait beaucoup. Une gélule lui échappa des mains et roula sur le bois déverni.– J’en ai marre de regarder ce que tu regardes, tu m’entends ? Il ne détournait pas les yeux de la tapisserie. Le tube cathodique de la télé vibrait dans son caisson en plastique. Sur l’écran, quelqu’un bougeait. Le grésillement d’une voix expliquait quelque chose, puis on changea de décor. La couleur de la pièce vira du rouge au jaune. La théière siffla. Nell se leva en prenant appui sur l’accoudoir. Nagg la suivit du regard. Il savait qu’elle avait caché la télécommande dans la poche de sa robe de chambre. Il grommela des gros mots à son adresse. Elle avait l’habitude. Elle n’y prêtait plus attention. Traînant les pieds jusqu’à la cuisine, ses pantoufles firent ronfler la moquette. Elle souleva la théière d’une main parcourue de veines saillantes et répartit le thé dans deux tasses, jusqu’à la dernière goutte. ... |