Liquide ou solide, la mémoire est matérielle autant que matricielle. Eau, humus, sable ou argile, elle prend des formes qui en génèrent de nouvelles à leur tour, résiste et se modèle, inspire des récits.
Nous l’avons mise en scène de cette manière pour le festival Fureur de lire, avec Raluca Antonescu à l’occasion de la sortie de nos deux romans parus simultanément aux éditions La Baconnière, respectivement Sol et Omniscience. La lecture réagence, articule, compacte ces deux textes selon un processus apparenté au mouvement souterrain des couches géologiques.
“Les ombres des magistrats, couvertes de scories, hantent les colonnes tranchées à la base par les siècles. Dans la cour, le corps de cendres de l’âne encore attelé à l’appareil à moudre le grain. Des chiens errants pissent sur les cénotaphes. … Des murs épais contraignent le visiteur, ne le laissent pas se perdre, le cheminement est sous le contrôle de lourdes pierres … Elle traverse le couloir qui sent bon la terre. L’humus. Le passé tassé transformé en chair fertile pour tout ce qui est déjà et qui viendra par la suite … Elle avance au milieu de ces vestiges et se dirige vers le centre, depuis la toute première visite, elle a toujours été attirée par lui. Il est le centre de gravité, le point de convergence. … Son nom propre n’existait plus, oublié depuis longtemps, seul le nom qui le rattachait à son peuple demeurait: les Allobroges. Les racines du mot allobroge parlent de peuple venu d’autres pays. Tout cet édifice gigantesque avait été bâti sur la tombe d’un exilé.”
La performance a lieu dans le site archéologique en sous-sol de la Cathédrale St. Pierre à Genève, le 26 novembre 2017, un dimanche, donc, jour dont Saint Justin écrit qu’il ” est le premier, celui où Dieu fit le monde en transformant la ténèbre et la matière, et celui où Jésus-Christ est ressuscité des morts” (1re apologie 67,8). Nous nous situons dans la partie paléo-chrétienne du site.
Préalablement à la performance nous avons enregistré, avec l’aide de Jérémie Conne, des séquences de sons produits par la manipulation de ces diverses matières. Ces enregistrements ont été mixés en live pendant la lecture.
Résonnant avec l’espace, diffusé à volume élevé, le son de la matière donne vie à la mosaïque de la salle de réception de l’évoque (an 400) : il procure au public la sensation accélérée du flux de temps qui a traversé sa surface, la déformant au passage.