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André Ourednik, 2016, Thanathea, traduction du poème tchèque d'Ivan Diviš, édition bilingue, La Baconnière, Genève, 2016. 56 pages 'Vingt ans d'insomnie sont la preuve pour moi que tu ne m'aimes pas'
extrait:
Inutile d’hurler
Bachote l’argot du désert
T’es-tu déjà tapé les verbes ?
As-tu dénigré les adjectifs ?
Décollé les préfixes rasé les racines ?
De l’or il en reste ?
Allons donc petit cousin
Tu es perdu
adapté à soimoi
Mais pourquoi saliver sur ma coquille
Je ne demande rien moi
Frigide indifférente mais
veuve richissime
Tu as à peine goûté de ma vulve
de ma poitrine bombée au goût de citron
À peine essuyé à la constellation d’yeux du cobra
Tu te fais dessus
Ça ne se fait pas
Ô moi victorieuse
tu ne m’auras pas
Ma demeure ta forteresse
T’es-tu déjà plaint de papa maman ?
As-tu corné les pages de la Bible dans les nuits polaires ?
Goûté aux révolutions
tiré à satiété sur la corde du croiseur ?
Passé du temps à te vautrer en chantant la cerisaie
et ronflé en rêvant le composte des chèvres ?
T’es repu des chiottes de province ?
Des collants sans trous ?
Des péteux affublés de titres –
des iks y-grecs des hommes brisés ?
Et qu’en est-il de la raccolta del niente ?
S’est-il éloigné ton Everest
ton Lhotse
Mǎkǎlǔ neigeux?
Le spectre a-t-il disparu ?
(Oh ! Il attendra !)
Par contre moi j’arrive
Debout
Je t’en donnerai moi
je te prendrai en main
te fouetterai un coup
te mettrai en laisse
tu écouteras le flegme
Te prosterneras à la morve
Tu as toujours voulu une maigre
Alors prends
Mais ne bave pas je t’en prie
Tiens-toi droit !
Ferme le bouton proche du cou ouvre en bas !
Je t’offrirai des villes plus insignifiantes que la poussière
Plus brûlantes que ta soif obscène
Mon choupinet je suis quelqu’un, moi
Je suis celle que je suis'
note bibliographique:
Un jour du mois de mai de l’année 1967, le poète Ivan Diviš se réveille en état
de transe et, d’une traite, écrit ce texte d'une vingtaine de pages.
— Je me souviens que j’ai glissé une feuille dans la machine et que j’ai
commencé à travailler, immédiatement, que j’ai travaillé sans interruption —
sans boire ni manger, je ne sais pas, peut-être que je fumais pendant — sept ou
huit heures. Puis j’avais 481 vers.
Ainsi naît son poème prophétique, le dernier d’un homme avant l’exil. Lorsque
Thanathea paraît, les chenilles des chars soviétiques labourent déjà les champs
du pays. Suivent vingt ans de séparation avec son fils, réfugié en RFA à
regarder son pays livré à la féroce médiocrité des apparatchiks de la
Normalisation.
Mais ce poème n’est pas une lamentation. Il clarifie les positions respectives.
Après tout, la mort n’existe pas sans nous, elle a besoin de nous, elle nous
appelle donc à vivre et peut se révéler jalouse. Le dialogue tantôt érotique,
tantôt métaphysique, est souvent drôle ou plein de sollicitude lorsqu’elle
parle à son choupinet et à son garçon sans oublier de rappeler sa
véritable identité par cette formule du fond des âges : car je suis celle
que je suis.
Strictement interdit de publication pendant la période de son exil à Munich,
Ivan Diviš revint en Tchécoslovaquie qu’après la Révolution de 1989. Ce livre
est la première traduction d’Ivan Diviš en français.
lecture:
Performance Thanathea avec Claire Deutsch à la librairie HumuS (en français, première minute de l'enregistrement dans la langue originale) :
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