L’installation numérique devant vos yeux vous propose d’explorer une ancienne compréhension du cosmos. Les sommets des cinq corps géométriques vibrent à une fréquence spécifique: la note do, re, fa ou si de la gamme pythagoricienne. Ensemble, elles composent un accord de do majeur. Chaque corps possède sa note ; ses sommets vibrent à l’unisson. Mais votre distance des sommets modifie légèrement les fréquences, variant l’harmonie par d’infimes désaccords. À vous de parcourir ce monde pour l’entendre.

Navigateurs: Chrome sur OS X permet d'entendre 76 oscillateurs distincts. Sur d’autres navigateurs et plateformes, ce nombre est réduit à 19. Les téléphones portables ne disposent que d'un oscillateur par corps, mais ils sont sensibles à vos mouvements:

L’installation s’inspire des idées formulées au 17e s. par Johannes Kepler dans son livre Harmonices Mundi. Chaque solide de Platon y correspond à un élément : terre-cube, eau-icosaèdre, air-octaèdre, feu-tétraèdre, éther-dodécaèdre. Les rapports des volumes correspondent en outre aux rapports entre les rayons d’orbite des planètes, ainsi qu’aux rapports des fréquences entre les différentes notes d’une gamme pythagoricienne. Nous vous proposons donc d’écouter un accord cosmique tel que pouvaient imaginer l’entendre les amis de Johannes Kepler.

Bien avant Kepler, d'autres philosophes défendaient des théories de «l’harmonie des sphères». Pythagore en première ligne, puis Platon, Cicéron, Copernic... Ils s’appuyaient à la fois sur l’observation du ciel, sur des recherches acoustiques et musicales, et sur l’idée que l’univers constitue un «ensemble harmonieux» (cosmos) régi par les nombres (arithmoi) considérés comme les principes de toute chose. Tous cherchaient à se convaincre que les constructions de la raison et l’essence du réel ne faisaient qu’un. Leurs théories de l’harmonie se sont avérées «inexactes», bien sûr, comme se révéleront la plupart de celles que nous formulons à présent au sujet de notre monde. Mais songeons aussi que

«Si la philosophie n’avait fait aucun progrès depuis les présocratiques, il n’y aurait aucune raison de s’en plaindre. Excédés du fatras de concepts, nous finissons par nous apercevoir que notre vie s’agite toujours dans les mêmes éléments dont ils constituaient le monde, que c’est la terre, l’eau, le feu et l’air qui nous conditionnent, que cette physique rudimentaire révèle le cadre de nos épreuves et le principe de nos tourments.
Ayant compliqué ces quelques données élémentaires, nous avons perdu – fascinés par le décor et l’édifice des théories – la compréhension du Destin, lequel, pourtant inchangé, est le même qu’aux premiers jours du monde. Notre existence, réduite à son essence, continue à être un combat contre les éléments de toujours, combat que notre savoir n’adoucit aucunement. Les héros de tous les temps ne sont pas moins malheureux que ceux d’Homère et, s’ils sont devenus des personnages, c’est qu’ils ont diminué de souffle et de grandeur. Comment les résultats des sciences changeraient-ils la position métaphysique de l’homme ? Et que sont les sondages dans la matière, les aperçus et les fruits de l’analyse auprès des hymnes védiques et de ces tristesses de l’aurore historique glissées dans la poésie anonyme?» (Émile Cioran, Précis de décomposition)